Comme ce condensé de la situation:
Dimanche dernier, une dizaines de femmes, des mulâtresses de la classe moyenne pour la plupart, discutaient politique. Faut dire que mise à part l'épidémie de choléra, les élections sont le sujet de toutes les conversations depuis plus de deux semaines.
A 7 jours du scrutin, la grande majorité d'entre elles ne savaient toujours pas pour quel candidat voter et tentaient d'affiner leurs opinions en les confrontant avec celles des autres. Unanimes autour du fait qu'il vaut mieux voter pour n'importe qui sauf pour Célestin - et certains autres candidats de la liste proche de lui malgré leur soi-disant prise de distance comme Céant -, elles n'en étaient pas moins dubitatives sur les capacités des papables à changer la donne et à relever le pays. Et on les comprend. De mon point de vue d'occidentale – ici, tout le monde vous fait bien comprendre que vous n'êtes pas du pays et donc que vous n'y comprenez rien! -, aucun des 19 candidats en lice n'a l'étoffe d'un président apte à gérer une problématique pays qui concentre à elle seul toutes les obstacles et tous les travers des pays en voie de développement: système de classes à la sud-africaine avant la fin de l'apartheid avec des écarts sociaux extrême; mafia; corruption – le dernier classement de Transparency International qui assure qu'Haïti a fait des efforts dans ce domaine m'a fait bien rigoler!; trafics en tous genre (drogue, armes, enfants...); violence; misère; famine; absence d'infrastructures, de structures sociales, politiques, administratives, économiques, commerciales, éducatives, d'eau potable, etc. Bref, l'anarchie.
Mais, revenons aux discussions politiques dominicales à l'ombre des pins. Le choix – puisqu'il faut en faire un! - s'appelle Baker, Martelly ou Manigat.
Si Baker a fait, au début de la campagne, grande impression notamment grâce à son passé d'homme d'affaires à succès dans les industries du tabac et du textile – c'est surtout la création d'emplois qui a marqué les esprits -, son extrême rigueur lui porte finalement préjudice. Certes, il faudra imposer des changements. Ceux-ci devront toutefois tenir compte non seulement de l'histoire politique et sociétale de l'exploitation – il ne faut pas croire que Toussaint-Louverture a réellement abandonné le système mis en place par les colons, quoi qu'en dise la légende -, d'une structure, en début de mandat du moins, encore largement aux mains du pouvoir actuel, mais aussi d'un peuple qui ne veut plus, et surtout ne peut plus, supporter de nouvelles mesures d'austérité, même si celles-ci s'avèrent nécessaires. Sans parler de la compétence politique toute relative de Baker. Quant à moi, l'occidentale, son profil d'entrepreneur libéral me séduit davantage que d'autres. L'Etat haïtien – pour autant qu'on puisse qualifier la Nation haïtienne d'Etat en l'absence totale d'organisation et de structures - aurait tout à gagner, dans un premier temps, à être remis sur les rails selon les règles économico-financières de gestion d'entreprise: compétences, business plan, objectifs, résultats, etc. Mais, ce n'est pas mon vote, ni mon pays!!!
Quant à Michel Martelly, si d'aucunes lui reconnaissent sa capacité à galvaniser les foules, à traduire ses idées avec des mots compréhensibles de tous – contrairement à d'autres candidats plus érudits! –, on lui reconnaît aussi un passé artistique qui sent le souffre et des fréquentations troubles avec le pouvoir actuel – un certain lien de parenté avec Préval notamment – et avec les milieux mafieux de la drogue. Sa totale ignorance des arcanes de la politique ajoutée à un caractère plutôt explosif et tranché, dans un pays où la mentalité est davantage empreinte de consens que de confrontation, alimentent les craintes d'un échec à court-moyen terme.
Reste Mirlande Manigat, LA femme en lice. Son âge – 70 ans –, son passé – ex-première dame de la République en 1987 et ex-candidate sénatrice ayant jeté l'éponge en 2006 par solidarité soi-disant avec son mari Leslie Manigat, alors candidat évincé de la course aux présidentielles, ses discours – émaillés d'érudition -, l'implication de son mari dans sa candidature actuelle et son éventuel mandat à la présidence sont autant de doutes soulevés par ces dames. Les rumeurs d'un soutien de Préval ne sont pas faites pour éclaircir les choses. Quant à son entrevue avec Préval, il n'en est sorti que des banalités qui ne trompent guère. Préval est un fin calculateur. On susurre le mot «amnistie». De mon point de vue, la société haïtienne aurait tout à gagner à s'inspirer du processus de vérité et de réconciliation réalisé en Afrique du Sud. Pour en finir une fois pour toute avec ce système de classes, il faut une réconciliation entre elles. Le bas peuple, surtout, soit la majorité de la population, a besoin d'entendre que l'on s'est servi de lui à des fins purement égoïstes et spéculatives et que l'incurie de ce gouvernement, comme celle des précédents, sera condamnée au titre de mise en danger de la vie d'autrui. Ce, dans le but de rallier ces masses désillusionnées, de leur redonner espoir et confiance pour qu'elles s'impliquent pleinement dans ce processus de rupture vers la démocratisation. Encore un point de vue d'Occidentale....
Revenons à Mirlande. Si elle est en odeur de sainteté auprès d'une certaine élite intellectuelle, notamment pour son penchant constitutionnaliste - il faudra effectivement remanier entièrement la Constitution d'Haïti qui, depuis Toussaint-Louverture, n'a pas vraiment évolué vers la démocratie et la modernité – , Manigat fait cependant preuve, à mon avis (encore...), d'une mollesse dérangeante, d'une absence crasse d'originalité et de réelles solutions dans son programme. Et c'est sans parler du fait que – comme tous les candidats de l'opposition – elle va devoir, si elle est élue, composer avec un parlement et ses chambres à majorité jaune-verte du parti actuellement au pouvoir. On voit mal comment cette dame d'un âge certain aura l'énergie et la poigne pour se faire respecter et imposer ses choix. Reste qu'elle est en tête des intentions de vote, ce qui lui confère le statut d'outsider favori contre Jude Célestin. Le quatrième et dernier sondage avant les élections, publié hier, fait même état d'une progression notoire de la candidate du RDNP (36% des intentions de vote, en hausse de 6 points par rapport au précédent sondage) creusant ainsi l'écart avec son challenger, Jude Célestin, qui recule d'un point à 20,3%. Martelly et Céant maintiennent leurs positions dans le classement avec respectivement 14% et 10% des intentions de vote. Mais, ce qui rassure surtout c'est que le «beau gosse», qui remporte 3 départements sur 10 que compte le pays, ne totalise ainsi que 700'000 voix contre 4 millions en faveur de Manigat.
Ce sondage confirme que les électeurs haïtiens devraient majoritairement plébisciter Manigat. Ce vote de défiance du pouvoir actuel devrait la placer face à Jude au deuxième tour le 16 janvier, soit à peine 4 jours après la commémoration de l'an 1 de Goudougoudou. Même s'il s'agit le vote du «moins pire», c'est peut-être là l'essentiel pour amorcer enfin un changement. Ce qui ne peut être que le meilleur pour ce pays.
Encore faudra-t-il passer l'écueil du deuxième tour, qui s'annonce tout aussi mouvementé que le premier. Le travail a déjà commencé dans la perspective d'un duel Manigat-Célestin. L'appui des candidats non élus s'avère en effet crucial. Et pourquoi pas ne pas intégrer dans le futur gouvernement les compétences évidentes de certains d'entre eux? Cela permettrait non seulement d'évincer les collabo aux postes-clés du pouvoir mais, dans le même temps, de consolider la position de Manigat.
Car finalement, si aucun des 18 candidats à la présidentielle (Jude exclu en tant que représentant de la continuité d'une politique castratrice et destructrice de valeurs) n'a vraiment l'étoffe d'un président –d'ailleurs qui l'aurait dans un tel contexte?-, certaines de ces individualités mises en commun au service du pays autour d'une figure en rupture avec l'idéologie patriarcale dominante pourraient peut-être enfin permettre un petit miracle: celui de la délivrance de tout un peuple...
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