Retour au pays natal

Qu'il soit cahier d'Aimé Césaire
ou énigme romanesque de Dany Laferrière,
chaque retour est une aventure sanguine,
une quête aux racines sous-marines de sa terre,
belle comme l'oxygène naissant,
forte à renverser les mondes aplatis,
accroupie devant la boulimie d'images,
bavarde et muette d'inquiétude, d'amnésie, de faim.
Lumineusement obscure
jusqu'au bout du petit matin...


Afficher mon trip sur une carte plus grande

lundi 11 novembre 2013

Une moisson de talents à Thomassin

Dimanche 10 novembre à Thomassin, le culte des moissons est aussi celui des talents dans une église transformée et regorgeant de produits locaux. Le lien: Culte à Thomassin

 Culte à Thomassin

vendredi 8 novembre 2013

L'Île-à-Vache (2ème partie)


La face cachée de l’Ile-à-Vache

Par Etzer M. Depestre


Une tonnelle "typiquement haïtienne". (E.D.)

La joie de vivre à l’ombre des cocotiers et  la bombance des lieux de villégiature confortent l’idée que l’Ile-à-Vache est un autre pays. Bien loin d’Haïti ! Son dépaysement total nous éloigne vite des réalités existentielles. Et de fait, la belle île se démarque complètement du charivari de la Côte-des-Arcadins, des plages de Montrouis et de Gelée, de l’aridité de Port-Salut, du contexte trop commercial de Raymond-les-Bains, de Ti Mouillage (Jacmel) et de Labadie (Cap-Haïtien). Sans ôter quoique ce soit à la beauté infinie desdits lieux, ils restent bien ancrés sur Planète Terre. A Haïti-Thomas, l’Ile-à-Vache prélude la cerise sur une coupe de crème-à-la-glace !  
   Pourtant, il ne faut pas être trop curieux. En s’éloignant des rares complexes hôteliers de l’ile, on s’étonne vite de se retrouver dans ce bas-monde et ses clivages socio-économiques. La face cachée de l’Ile-à-Vache, c’est bien Grand sable, Bois Bouton, Madame Bernard, Soulette, Trou Milieu 1, Trou Milieu 2, Dentelle, Ka Kock, Anse Figuier, La Source, Pointe Est, Ravine-à-Pierre, Cocoyer, Grande Plaine, Lafortune, Nan Palmiste, Grande Barrière, Gros Morne, Marée Salée, Pradel, Anse-à-Canaux, Carrefour Citron, Balairase, Anse-du-Four, Barthelemy et Kay-à-l’eau. Il s’agit tout de même de vingt-six bourgades éparpillées sur approximativement 46 km2. Avec leur originalité propre, elles ont toutes une histoire à raconter. Par exemple, Ka Kock a été hanté par un entrepreneur américain, Bernard Kock. Il avait élu domicile précisément à ce lieu que les villageois ont désigné affectueusement Ka Kock (chez Kock). Quand il déménagea à l’autre bout de l’ile, et pour honorer sa femme, leur nouvel habitat a été baptisé Madame Bernard.      
    Entrepreneur en coton très controversé, Kock a vainement tenté de recourir à la main d’œuvre bon marché des Noirs américains qui, par instinct de liberté, voulaient fuir le sud des Etats-Unis après la Proclamation d’émancipation des esclaves par le président américain, Abraham Lincoln, le 1er janvier 1863. Réputé d’accueillir en hommes libres et Haïtiens à part entière tous les esclaves qui s’y rendraient, le pays de Dessalines et de Pétion se destinait pour ce genre d’opération. Fort heureusement, Haïti n’a pas toujours été la terre misérable, infidèle aux idéaux de 1804, qu’elle est aujourd’hui. Le président Fabre Nicolas Geffrard y vit l’opportunité d’honorer la promesse faite à Bolivar par Alexandre Pétion, mais Abraham Lincoln lâcha honteusement le projet qui fondit comme beurre au soleil.


Une petite cabane de pêcheur. (E.D.)

Un repaire de trafiquants de drogue
Madame Bernard, la plus grande bourgade de l’Ile-à-Vache est aujourd’hui un repaire de trafiquants de drogue. D’origine jamaïcaine pour la plupart, ils vivaient en cachette avant d’apparaitre au grand jour dans les années 90, pour finalement avoir pignon sur rue aujourd’hui. D’autres loustics, s’exprimant en langue espagnole, se cachent derrière la nationalité dominicaine pour vaquer à leurs « activités » en toute quiétude, d’après certains notables de la région. Ils appartiennent à un gang armé qui prolifère le bord-de-mer de la principale ville du patelin de Bernard Kock. Certainement, l’absence calculée de toute autorité de l’état leur facilite la tache pour qu’ils s’interposent tout bonnement en véritables «seigneurs» de l’ile. 
   Régulièrement, des vedettes en provenance de leur pays d’origine et d’autres lieux spécialisés du corridor Haïti-Jamaïque-Colombie principalement, viennent y décharger des cargaisons douteuses au vu et au su de tout-le-monde. Et, rarement elles sont interceptées par les services de police, toutes origines confondues. Il existe également d’autres «bases» actives à Ka Kock et Kay-à-l’eau. A Trou Milieu, la population s’est levée comme un seul homme pour chasser des trafiquants qui tentaient d’installer une «base». Récemment, précisément au début du mois de septembre dernier, une tentative fructueuse a mené à l’arrestation de cinq trafiquants d’origine étrangère dûment capturés avec le corps du délit. Transférés à la ville des Cayes, quatre ont été vite libérés sans aucune forme de procédure. C’est bien Haïti: plus ca change, plus c’est la même chose !         
    Quant à la population locale, démunie mais avec un sens inné de l’esprit de famille, elle roule sa bosse à mille lieues de ce genre d’activités. Sa plus vive inquiétude serait plutôt que la construction d’un aéroport international, porte par excellence du pays sur le monde, ne vienne aggraver la situation en facilitant l’arrivée massive de substances illicites et de toute une racaille de bandits de grand chemin. Par voie aérienne, bien sûr. Pour le moment, les transactions de drogue se font à l’Ile-à-Vache comme on vend du maïs moulu au marché de l’Arcahaie. 

Une mare infecte accueille le visiteur à la capitale de l'Île-à-Vache. (E.D.)
                   
Survivre grâce à l’aide humanitaire
Abandonnée depuis toujours par les gouvernements haïtiens successifs, la population de l’Ile-à-Vache survit grâce à l’aide humanitaire dans sa grande majorité. Notre-Dame-de-la-Mer, patronne de l’Ile, accomplit chaque jour des miracles à son œuvre bienfaisante. L’école presbytérale de Kay-à-l’eau témoigne éloquemment de l’apport de l’Eglise Catholique à ce coin perdu d’Haïti. L’orphelinat Sœur Flora, patronnée par «Ile aux enfants d’Haïti», une organisation charitable de l’Hexagone, accueille des jeunes défavorisés des deux sexes. Compassion International, une ONG américaine, soutient logistiquement le Centre d’encadrement d’enfants. Disséminées un peu partout, quatre missions protestantes d’obédience Baptiste procurent l’instruction pour freiner l’exode de la population vers la grande terre. Un centre de santé privé/communautaire procure des soins mineurs aux malades et accidentés. En cas d’extrême urgence, il faut aller en chaloupe ou en voilier à la ville des Cayes, située à une dizaine de kilomètres, pour trouver un hôpital.   
    Quant au gouvernement de la république, qui se bombe le torse en proclamant au monde entier les progrès réalisés sous son égide, il ne procure ni eau potable, ni électricité, aux 20.000 laissés-pour-compte de cette partie intégrante de la population haïtienne. On a omis l’Ile-à-Vache parmi les vingt localités privilégiées qui récoltent d’un terrain de football dans la manne de cinq millions de dollars investis dans le pays. Uniquement sur la terre ferme et aux endroits visibles, bien entendu. En deux siècles d’indépendance nationale, l’ile entière n’a récolté qu’un minable centre de santé pratiquement hors du contrôle du ministère concerné. Aucune correction n’est encore apportée à cette situation atroce mais, on envisage des taxes pour les propriétés vacantes et surtout pour l’abatage des animaux parmi cette population besogneuse. Ces mesures, qui rentreront en vigueur avec la publication du Budget 2013-2014 sur le journal officiel Le Moniteur, visent à tuer la paysannerie, véritable pilier de l’économie nationale. Le président et son premier ministre ne connaissent pas les misères de la paysannerie pour n’avoir jamais vécu véritablement dans l’arrière-pays.  
    Seul rempart de la population, le Comité Général de Développement de l’Ile-à-Vache (COGEDI), est l’un des rares organismes susceptibles de l’accompagner dans sa quête de justice et de développement. Une direction de 3 membres fondateurs coiffe 7 noyaux de 30 membres chacun. Cette initiative, purement locale, aurait de franches coudées moyennant un soutien logistique à la fois indépendant et adéquat. Avec les moyens du bord, venant notamment de puissants organismes internationaux, COGEDI arrive toutefois à tirer son épingle du jeu pour sauver ce qui peut l'être. 

On coupe même les arbres fruitiers. (E.D.)
«Destination touristique Ile-à-Vache», un projet contre-nature
Les belles paroles et les promesses alléchantes venant de différents secteurs gouvernementaux ne suffisent pas pour atténuer le doute qui plane sur la véritable finalité du  projet «Destination touristique Ile-à-vache». Différents précédents encouragent les citoyens à se méfier de toute action d’envergure engagée unilatéralement par l’exécutif au mépris des instances constitutionnelles de contrôle. La tentation totalitaire prend forme également dans les mesures d’expropriation précipitées, nettement arbitraires, qui excèdent proportionnellement celles ordonnées de février 1986 au 14 mai 2011. Dans un contexte déjà fragile, les priorités devraient être accordées à la reconstruction des régions victimes du séisme du 12 janvier 2010.
    L’essoufflement des principales entreprises, tant haïtiennes que dominicaines engagées sur le terrain, est notoire. Celles-ci ne disposent pas assez de ressources pour diligenter autant de projets à la fois. Les poses de première pierre consommées, les chantiers sont pratiquement abandonnés ou périclitent lamentablement. Comme l’attestent les travaux de réfection des trottoirs et de saupoudrage quelques dizaines de kilomètres d’asphalte dans la région métropolitaine, qui ont appelé à la suppléance de sous-contractants incompétents, mal équipés et peu recommandables. Aujourd’hui, c’est l’Ile-à-Vache qui tombe dans ce cercle vicieux qui n’est pas sans bousculer des habitudes de vie tout en faisant planer le spectre d’une kyrielle de maux tels la criminalité et la pollution. 
    Il faut s’étonner que le comité bilatéral Venezuela/Haïti, institué pour approuver les projets financés par les fonds Petro Caribe, ait souscrit délibérément à une telle initiative qui engage des centaines de millions de dollars que les contribuables devront défrayer tôt ou tard. On leurre la population en avançant qu’Haïti paiera en nature sa contribution auxdits fonds. Ce pays peine lamentablement à nourrir sa population pour envisager l’exportation de produits agricoles et autres accessoires qui nous manquent. A moins de s’entêter d’assujettir Haïti aux requins dominicains afin d’enrichir in extremis des entrepreneurs locaux véreux. Les successeurs d’Hugo Chavez se font complices d’une situation d’endettement qui ne concerne nullement le pays réel, ceux qui triment dur pour joindre les deux bouts, les agriculteurs et ces vaillantes femmes qui portent ce pays sur le dos.
    L’industrie du plaisir est volatile et entrainera le pays de Madame Bernard dans le vice pour tomber aussi bas que la Cuba de Batista, avant Fidel Castro. Il est encore temps de sauver l’Ile-à-Vache et surtout sa population qui aspire au travail pour vivre pleinement dans un environnement éradiqué des moustiques, et loin des gangs qui se battent pour un marché contre-nature. Et qu’un gouvernement soucieux du bien-être de sa population doit absolument mettre hors d’état de nuire. Un plan de développement raisonnable vaut mieux que trois parties de poker. Haïti risque d’être un cadavre au départ du gouvernement Martelly/Lamothe.-     
(Haïti-Observateur, du 2 au 9 Octobre 2013)

Un jeune pêcheur. (E.D.)

lundi 4 novembre 2013

L'île à Vache, décrétée Destination touristique 

Abaka Bay vue du large (E.D.)



Bastion d’indigènes menacé d’extinction en Haïti : 
L’Ile-a-Vache revisitée en colonisateur par le régime de Port-au-Prince, après deux siècles d’absence  

Par Etzer M. Depestre

Pire que tous les prédateurs qui semaient la terreur à l’Ile-à-Vache au XVIIe siècle, le gouvernement de Port-au-Prince arrive aujourd’hui en colonisateur à ce coin abandonné du territoire. « Destination touristique Ile-à-Vache », l’ambitieux projet voulant faire de cette région paradisiaque la première destination touristique des Caraïbes, ne se concrétisera pas sans heurter les us et coutumes de ceux qui en seraient les premiers bénéficiaires. Ces derniers n’ont même pas été consultés. Des mastodontes ont déjà ravagé des kilomètres de terres cultivables pour transformer un chemin de campagne en route carrossable. Des centaines de cocotiers, d’arbres fruitiers plus que centenaires, n’ont pas été épargnés par tracteurs et pelles mécaniques. On ne compte plus les hélicos qui charrient prospecteurs et autres investisseurs potentiels dans le ciel bleu et vers les plages cristallines de ce joyau des mers du sud. 
    Avec des kilomètres de sable blanc, une eau limpide à température idéale garantie à l’année, les investisseurs devraient se ruer à l’ancien domaine des pirates d’avant la colonisation d’Hispaniola. Bien sur, dans le sillage de Port Morgan dont le charme dépasse les limites de l’imagination. Et surtout d’Abaka Bay Beach Resort ! Un fond de mer immaculée et une vue surprenante sur cette partie de l’océan charment les plus sceptiques. On peut y rester des heures bouche bée.
    Pas plus tard qu’au mois de mai 2013, une évaluation de la chaine américaine CNN plaçait cette dernière au 57e rang parmi une centaine de meilleures plages du monde. Pour atteindre un tel sommet, les propriétaires ont du certainement consentir d’immenses sacrifices. Pendant de nombreuses années. C’est le prix de l’effort, du travail ardu, de la patience et du professionnalisme qui conduit à cette reconnaissance internationale, la première depuis qu’Haïti disparaissait de ce créneau à la veille du déchoukage (1986).
    Cayo Paradiso, en République Dominicaine, devance Abaka Bay Beach Resort avec la 34e position. Avec plusieurs décennies d’avance dans le domaine, et un investissement nettement supérieur, cette plage la mérite bien. Parvenir au titre pompeux de « Première destination touristique des Caraïbes » ne tombera pas du ciel du jour au lendemain en offrant uniquement le soleil et la mer aux visiteurs. Pour le moment, en l’absence d’un projet concret capable de protéger les derniers indigènes d’Hispaniola, façonner l’imagination et tuer le doute, l’amateurisme prime. Dans le contexte d’un état de droit, une telle initiative, engageant plusieurs centaines de millions de dollars des contribuables, aurait sollicité un débat national avec l’assentiment des Chambres. Et surtout la transparence obligée dans les appels d’offre et l’octroi des contrats. Il s’agit donc d’une opération strictement d’affaires.

Port Morgan, l'une des principales destinations sur l'Ile à Vache (ED)

Deux aéroports séparés de quinze kilomètres
Ceux qui doutent de la faisabilité de « Destination touristique Ile-à -Vache » estiment que l’Aéroport International des Cayes risque de supplanter celui projeté à l’Ile-à-Vache. Mais les deux projets piétinent lamentablement. Lancés en février 2013, les travaux du projet des Cayes connaissent des difficultés dans le paiement des indemnités aux propriétaires qui jonchent la principale artère débouchant à l’Avenue Quatre-Chemins. Selon des officiels de la cité d’Antoine Simon, leurs chèques ont tout simplement rebondi. De ce fait, Estrella, la compagnie dominicaine en charge de l’exécution des travaux préliminaires, adopte un profil bas pour ne pas subir les contrecoups des mécontents. Tout comme les principaux maitres d’œuvre du palais national et de la primature qui jouent sur l’usure du temps.
    A l’Ile-à-Vache, les problèmes sont d’une autre nature. Initialement prévue aux environs d’Anse Figuier, au centre de l’ile, la construction de l’aéroport international et des locaux de douane et d’immigration a été repoussée à l’extrême pointe de l’ile. Une situation ambigüe, due aux titres de propriété, contraint les autorités gouvernementales à transférer le projet d’accueillir de gros transporteurs aériens à Balairase, une localité située entre Pointe-Est et Bois Bouton. Anse Figuier offrait l’avantage d’être au cœur de quatre ou cinq plages potentiellement susceptibles de satisfaire les desiderata des investisseurs. Que ce soit à Source Bombara, Sable Blanc, Anse Figuier ou à La Source, il s’agit de belles étendues de plage de sable blanc unique au monde. Des négociations sont actuellement en cours pour convaincre les propriétaires de se désister. Les villageois, qui vivent depuis plusieurs générations chez-eux ne se résignent pas encore à abandonner leurs positions malgré le décret du président de la république. D’après plusieurs notables de la région, quand il fallait se faire nommer président-a-vie, Papa Doc Duvalier avait banni le paiement de leurs obligations envers l’Administration Générale des Contributions d’alors. De fermiers de l’état, ils sont devenus propriétaires dument légalisés par l’ancien dictateur. L’Ile-à-Vache n’intéressait personne. L’actuel décret présidentiel d’expropriation viendrait renverser la décision de Doc Papa, idole incontestée du président de la république. Ce fameux décret donne des maux de tête à qui veut l’entendre car des citoyens d’origine américaine, canadienne et française notamment, sont propriétaires de la majorité des terrains de plage visés par la présidence qui hésite à désavouer que « Haiti is open for business ».Un slogan qui devient subitement une arme à double tranchant. 

Une coquette petite maison paysanne (ED).

Une ile infestée de moustiques  
Hormis Port Morgan, Abaka Bay Beach Resort et d’autres poches de villégiatures dont le professionnalisme de leurs dirigeants épargne les visiteurs des maux endémiques qui ravagent la majorité des Haïtiens, l’Ile-à-Vache est infestée de moustiques. Grande oubliée de tous les gouvernements, sa population est encore condamnée à subir les affres d’une existence misérable. Partout dans l’ile, de véritables mares infectes multiplient le nombre d’anophèles capables de propager ces maladies endémiques que le SNEM (Service National d’Eradication de la Malaria) avait combattu dans les années 60. Aujourd’hui où l’état est démissionnaire à tous les niveaux, la population est abandonnée à son propre sort, comme d’ailleurs partout dans le pays.
    A l’Ile-à-Vache, les moustiques représentent une véritable calamité que les visiteurs d’un jour remarquent difficilement. Le simple traitement de ces mares aurait épargné nos concitoyens de ces fléaux indignes du XXIe siècle. L’ABC d’un projet viable consisterait prioritairement en l’élimination de ces larves que d’éventuels investisseurs ne manqueront pas de répugner ouvertement. Surtout quand il s’agit de négocier à la baisse. 
    Des dirigeants désintéressés peuvent faire de l’Ile-à-Vache le joyau inespéré d’un paradis retrouvé. Bref, la véritable « Perle des Antilles ». Avec seulement 46 km2, il s’agit pratiquement d’un hameau qui ne demanderait pas de grands investissements à l’état. Une bagatelle dans l’océan Petro-caribe !    

A Nan Coq, petit village de pêcheurs (ED)
                                           
20.000 habitants vivant à l’état primitif menacés d’extinction    
Disséminés à l’intérieur de vingt-six (26) villages, la majorité des habitants de l’Ile-à-Vache vivent pratiquement à leur état premier. Ils sont restés majoritairement loin des soubresauts de la ville. Pour simple exemple, le cochon dit créole évita majestueusement son élimination dans les dernières années du gouvernement de Jean-Claude Duvalier. Des légions de ce fameux cochon sanglier gambadent allègrement dans des mares de boue. On y cultive principalement le manioc, le maïs, diverses variétés de bananes et patates, le petit mil… Les hommes pour la plupart s’adonnent aux activités de pêcherie mais, la coupe systématique des arbres, pour produire le charbon, assure une certaine survie à l’ensemble de la population. Des Madame Sarahviennent régulièrement récupérer des sacs au marché public de Madame Bernard qui ouvre les jeudis. Achetés a raison de 200 gourdes, ces sacs sont revendus 300 gourdes au wharf de cabotage des Cayes. L’absence des autorités dans cette région et surtout l’insouciance du gouvernement à protéger cette merveille de la nature contribue à accélérer la dégradation de l’environnement.        
    Sans aucun système de distribution d’eau potable et voire d’alimentation en électricité, l’Ile-a-Vache reste le dernier bastion d’indigènes d’Haïti. Pourtant, seulement 10 kilomètres la sépare de la grande terre, principalement de la ville des Cayes. Jusqu'à récemment, il fallait aller à la métropole du sud pour trouver des services publics plus ou moins acceptables. Grace à la diligence du Comité Général pour le Développement de l’Ile-à-Vache (COGEDI), la MINUSTHA (Troupes de l’ONU en Haïti) aménagea un abri provisoire pour loger la mairie, une caricature de police nationale et d’autres services à l’état embryonnaire. Il s’agit du seul « édifice » électrifié de Madame Bernard, considérée comme la capitale de l’Ile-à-Vache. Un marché public digne de ce nom est en construction grâce à l’aide bénévole des soldats onusiens.  
   Il faut aller à Madame Bernard pour comprendre le drame de ce pays. Au mépris du bon sens, de toute notion d’hygiène et de salubrité, le centre-ville regorge d’immondices. Une mare nauséabonde occupe tout l’espace de ce qui devrait être une place publique. A première vue, la plus grande « ville » de l’Ile-à-Vache semble être au bout du monde. Nous nous excusons de penser que ce gouvernement, à l’instar de ceux qui l’ont précédé, veut vendre la pauvreté.     
    Justement, à l’Ile-à-Vache, tout est à l’oral. « Ti manman chéri, Ede pep, l’Ecole Gratuite » et d’autres programmes sociaux tonitruants brillent par leur absence. Pourtant, des hélicos débarquent souvent les officiels qui viennent faire des mamours aux villageois pour accaparer leurs terres, depuis que le projet « Destination touristique Ile-a-Vache »l’emporta haut la main face aux concurrents tenaces de la région jacmélienne et Port-Salut, après de cuisants revers enregistrés dans ces agglomérations.  
     Des intérêts inavoués semblent guider le choix de l’Ile-à-Vache pour remettre Haïti sur la carte touristique internationale. Une noble intention qui méprise toutefois les droits des derniers indigènes de ce pays qui doivent être protégés du vice et de la corruption, dénominateur commun du pays de Dessalines et de Pétion. Les abandonner aux casinos et autres effets pervers du soi-disant « développement touristique » serait un sacrilège. 

Haïti-Observateur, 25 Septembre-2 Octobre 2013

vendredi 1 novembre 2013

A lire

Paru dans Haïti Observateur, un hebdomadaire français-anglais-créole publié à New York, l'article du frère du pasteur Marco Depestre Junior sur le cinquantième du CMF et du CPRP.


50e anniversaire du Collège Méthodiste de Frères et de l’Ecole Normale de Frères :
Paul Decorvet conduit une imposante délégation suisse dans le pays

Par Etzer M. Depestre

L’Ecole Normale de Frères, plus connue sous le vocable de Centre Pédagogique Rural Protestant, et le Collège Méthodiste de Frères, célèbrent leur cinquantième anniversaire cette année. C’est, en effet en 1963, sous l’impulsion du pasteur Paul Decorvet, que ces deux entités débutèrent leur opération dans cette banlieue limitrophe de Pétion-ville,«sur un terrain couvert de broussailles et d’arbustes qui venait d’être acheté par l’Eglise Méthodiste d’Haïti (EMH). La vue sur la mer et la Plaine du Cul-de-sac était magnifique. Aucune clôture n’existait, ni n’était nécessaire. Le soir, on entendait le son des tambours lors des cérémonies vodou et le chant des anolis. »       
    Tout un cérémonial a été élaboré par les dirigeants de l‘Eglise Méthodiste d’Haïti, l’institution de tutelle. Le coup d’envoi a été donné à leurs locaux de Frères, le vendredi 25 octobre dernier, par le professeur Rosny Desroches, l’un de ses instigateurs. A part le représentant du ministre de l’éducation nationale qui devait prendre la parole, d’autres membres du pouvoir de l’état rehaussaient de leur présence cette cérémonie empreinte d’émotion. Il convient de noter la présence de Mme Ivanka Jolicoeur Brutus, mairesse de Pétion-ville, du député de ladite circonscription, Fredely Georges, du sénateur Andris Riche, du membre du Conseil Transitoire du Conseil Electoral Permanent, Léopold Berlanger et du pasteur Edouard Paultre, responsable du Conseil haïtien des acteurs non-étatiques.
    Une délégation de six membres est venue spécialement de Suisse pour participer à cet évènement. Conduite par le pasteur Paul Decorvet, premier directeur du Nouveau Collège Bird (NCB), elle incluait plusieurs anciens professeurs de ladite institution, du Collège Méthodiste de Frères (CMF) et du Centre Pédagogique Rural de Frères (CPRF).
    Sous la houlette du professeur Rosny Desroches, les festivités allaient débuter dans la sérénité requise avec la prière du pasteur Marco Depestre jr., secrétaire-général de la conférence du district de Port-au-Prince. Tandis que d’autres orateurs tels le professeur Jean Sainton fils, secrétaire du comité d’éducation de l’église méthodiste d’Haïti, le directeur du CPRF, M. Yves Henry, le pasteur Paul Decorvet, Mme Mary Lise Desroches, directrice du CMF, allaient s’adresser en de justes mots pour situer le momentum. Les pasteurs Edzaire Paul et Gesner Paul, respectivement directeur du bureau de l’éducation de l’EMH et président de la conférence méthodiste, allaient clôturer l’ordre du jour agrémenté de chants et d’interprétations musicales des élèves du CMF.
    Le jour suivant était destiné aux activités sportives et culturelles alors qu’un culte d’action de grâce eut lieu le dimanche 27 octobre dernier à l’église méthodiste de Frères qui était pleine à craquer. Les principaux officiants, à savoir les pasteurs Marco Depestre fils et Gesner Paul, comblèrent amplement l’attente des fidèles assemblés. C’est ce dernier qui livra le message à partir des versets bibliques tirés des Evangiles de Joël, Timothée et Saint Matthieu. De son coté, le docteur Guy Loutan prit la parole au nom de son père. Le message de l’ASAH, l’Association Suisse des Amis d’Haïti, principal bailleur desdites institutions, a été lu par le professeur Yves Gaudin. En final, les membres du personnel ayant plus de 20 ans de service ont été promus à l’ordre Honneur et Mérite par le comité spécialement formé à cet effet. Il s’agit de MM. St-Jean Pierre René, Mie Chantal Baptiste, Ricot Saint-Fort, Ilioma Louiseul, Adèle Napoléon, Miclet Denis, Télémaque  Emile, Claudette Alcindor, Andrelia Florestal, Torcel Jean Frito, Molina Morines, Enel Theodore, Carole Dorno, Joachim Jacques, Mariani Honoré, Gabriel Camille, Madeleine Bernard, Job Aristide, Pierre-Louis Michelin, Joseph Yves Henry, Marianne Balaman Julsaint et Mme Mary-Lise Desroches. Tous nos compliments aux récipiendaires dont Mme Desroches qui compte quarante quatre ans de service à la direction du Collège Méthodiste de Frères.   
             
Une gageure digne de 50 chandelles 
Le CMF et le CPRP sont nés pratiquement dans le sillage du Nouveau Collège Bird qui avait vu le jour en 1960 avec la crème de l’intelligentsia haïtienne dont Lesly Manigat, Ghislain Gouraige, Edner Saint-Victor, Franck Saint-Victor… A cette époque, le pays allait être dépouillé des cadres de l’enseignement qui fuyaient la dictature duvaliériste. Celle-ci étendait son manteau contre vents et marrées, François Duvalier se métamorphosant en Papa Doc pour le plus grand malheur de ce pays. Des centaines de professeurs et de professionnels de tous crins partaient désespérément vers le Canada et l’Afrique principalement. Afin de relever ainsi le défi de la conjoncture, il fallait parer au manque flagrant d’instituteurs qualifiés. L’Ecole Normale de Frères débuta ses premières opérations dans de telles circonstances. Mais, selon le pasteur Paul Decorvet, le NCB pourvoyait l’élite sociale et économique de Port-au-Prince, la capitale, et il fallait palier à cette situation en créant de toutes pièces le CMF. Tout comme d’ailleurs d’autres écoles d’obédience méthodiste et protestante dont l’une à Deschapelles, dans l’Artibonite, sous l’égide d’un philanthrope américain, le docteur Mellon.  
    Si le pasteur Ormonde Mc Connell, chairman de l’EMH qui a consacré toute sa vie au protestantisme haïtien, et le pasteur Paul Decorvet semblaient gagner leur pari, plusieurs embuches s’élevèrent de manière coriace dans le paysage politique. Après l’affaire Barbot ou de jeunes rejetons du dictateur François Duvalier faillirent laisser leur peau, celui-ci commença à montrer ses dents. On montra la porte au pasteur Decorvet et la majorité d’instituteurs suisses le suivirent sans ambages. L’église méthodiste d’Haïti peina, mais réussit tout de même à surmonter tous les problèmes qui surgissaient immanquablement sous l’instigation de l’ubu tropical doublé de Papa Doc. Les dictateurs passent, mais les institutions demeurent.
    Les ponts n’étant pas rompus pour autant avec l’Association Suisse des Amis d’Haïti (ASAH), tous les espoirs étaient permis. De leur patelin, ces fidèles amis d’Haïti et du peuple haïtien ont soutenu avec zèle et dévouement le projet de procurer un enseignement de choix dans le pays. La pédagogie dite active a fait son bonhomme de chemin pendant ces cinquante dernières années. Que ce soit au Collège Méthodiste de Frères ou à l’Ecole Normale de Frères, des milliers d’étudiants y adhérent tous les ans, pour le plus grand bonheur des parents, heureux de constater que leurs enfants s’épanouissent dans un environnement sain et prometteur. Ils réalisent, avec une légitime fierté, que l’éducation reste le moyen le plus sur pour libérer les prochaines générations des maux séculaires qui affligent le peuple haïtien. 
    Les 50 ans de l’Ecole Normale de Frères et du Collège Méthodiste de Frères sont pour tous un moment de réflexion sur la volonté d’agir, de concrétiser des rêves et de conduire des projets à terme. Les effets dévastateurs de la dictature sévissant alors dans le pays n’ont aucunement atténué l’amour que vouaient les enseignants suisses pour notre pays. Tout au contraire, des liens étroits, entretenus et tissés dans la chaleur des petits matins haïtiens, ont raffermi la ferveur de leurs ambitions sans borne pour une population qui n’était pas née pour un petit pain. En découvrant le jeu injuste de l’histoire, ils sont devenus des Haïtiens à part entière.  « L’esprit du Christ les anime », comme ils l’ont prouvé. 
     Puissent les dirigeants du CMF, du CPRP et de l’Eglise Méthodiste d’Haïti, trouver ici l’expression des vœux les meilleurs d’Haïti-Observateur. Quant aux membres de l’Association Suisse des Amis d’Haïti, qu’ils soient rassurés que le bon grain ne se perd jamais. Haïti, le pays debout et de l’éternel sourire, se souviendra !